Vent frais sur le pont du S Bahn Beusselstr., les voitures roulent à toute allure vers quelque chose qui est leur vie même à ce moment précis et nous exposés en rang serré sur le pont où personne ne nous attend et où nous n’attendons personne, présence visible et pourtant comme hors-jeu, comme si nous étions de l’autre côté d’une vitre transparente. Sur le quai, en rang serré, les trains passent, et nous pensons à ceux, qui sur ce même quai, ont été arrachés à leur vie, à leurs amis et proches, ceux qui par un froid plus mortel se sont retrouvés serrés en rang dans une foule, résonnants froidement l’approche de la mort. Personne ne nous oblige à monter dans les trains qui s’arrêtent pour d’autres que nous, personne ne nous ignore non plus, en rang serré, comme nous nous tournons sur nous même, vue blanche sur le port noir et menaçant de Westhafen, vue sur les voies perdues dans l’inconsolable grisaille, vue sur les gens qui nous jettent des regards perplexes, amusés, curieux, vue sur les escaliers qui conduisent au pont en ce matin glacé.
Ciel bleu lavé de nuages, la troisième balade se veut ludique. C’est une découverte des cours en enchainement, en chanson d’enfance vers le Eckkneipe, endroit enfumé d’où sort une voix rauque comme des cailloux qui roulent sur le chemin et qui défend son équipe de foot bec et ongles contre des adversaires pourtant peu convaincus, l’accueil à la table d’un consommateur est cordial, seuls des hommes consomment et une dame tient le comptoir, la bière prend sept minutes avant d’être servie et nous sommes là, assis en rond, respirant la fumée, suivant la conversation, pas d’étonnement, pas d’incompréhension, un peu de surprise peut-être devant l’unique bière que nous commandons et que nous buvons ensemble les uns après les autres, une communion d’un autre genre. Je m’approche d’un moment sacré, notre monde en côtoie un autre, s’ouvre à lui pourtant si accessible, si proche, bien qu’il faille passer une frontière invisible, franchir, une porte, un seuil pour y accéder. Ce monde n’est pas même secret, on y entre tout étonné qu’il nous reçoive.